| Le 04 juin 2012
Les personnes ne dansant pas imaginent souvent que chaque danse qu'ils
voient est chorégraphiée au millimètre et que les danseurs ont répété
durant des heures. S'il est vrai que des heures de travail ont été nécessaires
pour parvenir au résultat, il n'est pas certain que la danse ne soit
pas issue d'une improvisation. Parlons donc aujourd'hui de ce qui différencie
l'improvisation de la chorégraphie, deux manières tout à fait différentes
et complémentaires de concevoir la danse.
En cette période de fin de saison, les galas et spectacles de fin
d'année sont nombreux dans toutes les villes où des cours de danse
sont dispensés. C'est l'occasion de montrer ce qui a été fait durant
l'année et de fêter la fin d'une saison où l'on a mis tout son coeur
à perfectionner sa danse. Apprendre une chorégraphie pour la reproduire
à la perfection lors d'un spectacle est une tâche où la mémoire est
beaucoup sollicitée, mais qui a l'avantage, répétition après répétition,
d'imprégner le corps des mouvements qui composent la danse. Il n'est
donc pas seulement question d'apprendre une poésie par coeur, chacun
s'approprie aussi l'esprit de la poésie au point de pouvoir en écrire
une nouvelle variante après des heures de répétition. La chorégraphie
forme une certaine logique dans les mouvements et cette logique intègre
plus ou moins consciemment la danseuse ou le danseur. Cela fait partie
de sa formation.
En ce moment, j'ai moi-même des élèves qui travaillent des
chorégraphies de ce type. Prenons le cas de cours de rock au niveau
débutant. La chorégraphie permet de réviser toutes les figures
que l'on a apprises depuis le début de l'année et de les intégrer.
Pour mettre un peu de piment dans l'exercice, j'ajoute en général
un petit passage où l'interprétation musicale prime sur l'enchaînement
de figures. L'apprentissage de l'enchaînement des figures connues
et structurées se passe généralement bien. Je précise, pour les lecteurs
qui ne pratiquent pas les danses en couple, que ces fameuses figures
sont comme des briques ou des séquences de mouvements et de pas
que l'on assemble pour former la danse. Pour simplifier, en soirée
dansante, on utilise les mêmes briques, mais c'est ordre qui change
au gré du danseur et de son aptitude à improviser cette succession
selon la musique qu'il entend. Mais je reviens à mon enchaînement
chorégraphique. La partie qui pose davantage de problèmes aux élèves
habitués à manipuler ces fameuses briques est celle où j'ai un
peu changé le rythme des pas et où je propose une gestuelle
démonstrative inspirée par la musique et l'histoire que l'on veut
raconter aux éventuels spectateurs. Autant la danse à deux improvisée
est-elle un dialogue entre les partenaires, autant cet aspect
spectacle ajoute-t-il le public comme troisième larron de l'affaire.
Les danseurs doivent sortir de leur cadre protégé de la technique
réglée du rock qui leur permet d'improviser et, le temps de quelques
mesures, faire un tout autre exercice très cadré, mais où l'improvisation
n'est plus possible. Cela oblige à écouter la musique et à danser pour un public,
bref, à faire ce que font tout le temps les danseuses et danseurs de
hip-hop, modern jazz, etc.
Tiens, parlons-en, des danseuses et danseurs de hip-hop, modern jazz
et autre danse classique. Leur spécialité, c'est le spectacle en priorité,
c'est la performance au sens anglais du terme. Ce n'est donc pas tout à fait
la même problématique pour eux. Leur style de danse les habitue à danser soit
pour eux-mêmes, soit pour un public. Les spectacles sont donc chorégraphiés
au millimètre et il vaut mieux ne pas s'écarter de la ligne dessinée par
le chorégraphie sous peine de perturber tout le spectacle. J'admets qu'en
hip-hop, ce n'est pas tout à fait cela, car les battles peuvent amener
les danseurs à improviser, mais tous les danseurs de hip-hop ne font pas
des battles... En modern jazz, classique, etc. tout est donc cadré. La
chorégraphie de fin d'année représente le travail de toute la saison
et, à chaque représentation, les mouvements doivent être reproduits
à l'identique. Il n'y a généralement pas d'improvisation, c'est un exercice
que l'on apprend beaucoup plus tard après avoir appris des dizaines de
mouvements nouveaux et après avoir suffisamment gagné en maturité pour
les faire se succéder en suivant son inspiration. C'est plus difficile
que pour les danseurs en couple, car le niveau n'est plus la brique
dont je parle plus haut, mais plutôt le gravillon voire le grain de sable.
Mais une fois que la danseuse ou le danseur a atteint ce niveau,
quelle liberté s'offre à elle/lui ! Cela a toutefois un revers :
un danseur formé uniquement au spectacle aura du mal à danser en fonction
d'un/une partenaire. On connaît les pas de deux du ballet classique, mais
je pense que même dans ce cas les danseurs, bien souvent, dansent chacun l'un à côté de
l'autre et assez peu l'un avec l'autre (en dehors des portés, évidemment).
La danseuse peut faire une pirouette
sans l'aide ou le guidage de son partenaire et le danseur tente généralement
de bien se positionner, mais ne donne aucun guidage puisque sa danseuse
ne l'utiliserait pas.
On le voit, il y a différents niveaux d'improvisation et différents
types de techniques. Je ne crois pas que certains soient davantage
"vrais danseurs" que d'autres comme j'entends parfois dire. Les
usages sont différents : d'un côté, il y a l'aspect social et convivial
de la danse où l'improvisation est faite de briques qu'il faut ordonner
un minimum (et parfois de petits
cailloux lorsqu'il y a des jeux de jambes ou des attitudes). De l'autre
côté, il y a l'aspect, spectaculaire et festif de la danse où l'improvisation
se fait au niveau du grain de sable. C'est un peu plus long d'atteindre
l'aisance en improvisation, mais le degré de liberté est aussi plus important.
Le danseur complet devrait donc être en mesure à la fois de danser
avec une/un partenaire en utilisant cette notion de suivi/guidage que
tous les danseurs de danse à deux connaissent et de danser librement
en improvisation devant un public. Ce sont ces deux qualités qui sont
nécessaires dans le cadre de l'émission So You Think You Can Dance
dont la nouvelle saison vient de démarrer aux USA. Et c'est peut-être
pour cela que j'aime bien ce concept.
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